Lors de sa mise sur le marché en 2014, la Yamaha MT-07 était proposée neuve sans ABS pour 5 699€. Actuellement, ce montant correspond presque à sa valeur d’occasion, tandis que le modèle neuf est vendu en concession pour 7 999€. Un autre cas est celui de la Ducati Panigale V4 : lancée à 22 490€ en 2018, elle se négocie aujourd’hui à plus de 26 490€, bien que ses modifications soient superficielles. Prenons également l’exemple de la Kawasaki Z900 RS : sans aucune modification depuis son lancement en 2018 à un prix de 11 999€, son prix a grimpé à 13 799€. Malheureusement, de nombreux autres exemples similaires existent sur le marché des motos.
Mais quelle est la raison de cette inflation généralisée ? Les constructeurs sont-ils responsables ou simplement les victimes de cette hausse des prix ? La réponse à cette question est, comme souvent, plus complexe qu’elle ne semble. Nous avons investigué et voici les facteurs qui contribuent à l’inflation des prix des motos :
Changement dans les habitudes de consommation
L’évolution des modes de consommation est l’une des premières raisons expliquant cette inflation généralisée et assumée. La popularité grandissante des solutions de financement comme la Location avec Option d’Achat (LOA) et autres formes de leasing modifie la perception des prix. Aujourd’hui, les consommateurs se focalisent davantage sur les mensualités, qui paraissent plus abordables, plutôt que sur le montant total, fréquemment un chiffre impressionnant à quatre ou cinq zéros. Cette tendance permet aux constructeurs de moto de luxe de fixer des prix toujours plus élevés. Les pays occidentaux dominent dans ce domaine, bien que les fabricants japonais commencent à les rattraper. BMW est à la pointe de ce mouvement, suivi de près par Harley-Davidson. À noter que le service de financement de BMW génère plus de revenus que son département motos. De plus, l’achat de véhicules via des sociétés privées à des fins d’optimisation fiscale est un autre facteur perturbant le marché.
La mensualité est désormais aussi importante que le prix catalogue, avec une approche de vente qui encourage à ignorer le prix total en mettant en avant des paiements mensuels abordables.
Mais les changements ne se limitent pas aux techniques de commercialisation ; les tendances et les modes évoluent également. Il est évident que, au fil du temps, les constructeurs tendent à favoriser les produits à forte « valeur ajoutée », cherchant ainsi à protéger ou même à augmenter leurs marges. Les produits d’entrée de gamme sont progressivement abandonnés au profit de motos haut de gamme, de grande cylindrée et richement équipées, contribuant ainsi à alimenter un cercle vicieux de compétition en termes de spécifications et de performances.
La définition d’une « moto haut de gamme » a évolué, peut-être plus rapidement que les motards eux-mêmes ne l’ont fait. Auparavant, une moto de prestige se distinguait par d’excellents freins, des suspensions de qualité, une mécanique soignée, une architecture moteur unique et des composants haut de gamme. Cependant, aujourd’hui, les constructeurs semblent privilégier l’ajout de technologies et de gadgets électroniques divers pour augmenter la valeur perçue de leurs motos, des ajouts que beaucoup de motards ne jugent pas à la hauteur du coût supplémentaire demandé. Cette approche renforce l’impression d’une inflation des prix. Combien de motards sont réellement prêts à investir 2 000€ pour des fonctionnalités telles que des radars d’angle mort, des freins de stationnement automatiques, ou des cartographies moteur réduisant la puissance tout en doublant le prix de la moto ?
Les réglementations écologiques
Depuis une dizaine d’années, le « progrès » dans l’industrie de la moto est poussé de manière autoritaire et inusitée par les autorités publiques, sous l’influence de nouvelles pressions sociétales telles que les préoccupations écologiques. De nouvelles normes européennes, toujours plus strictes (Euro4, Euro5, Euro5+), sont imposées avec une fréquence accrue. Ceci s’explique par le fait que le secteur de la moto, traditionnellement en retard sur celui de l’automobile, tente de rattraper son retard. Ces normes entraînent des coûts supplémentaires significatifs pour les constructeurs, coûts qui, de surcroît, sont difficilement répercutibles sur le prix de vente final. Ce phénomène a également un effet secondaire indésirable : les investissements nécessaires pour se conformer à ces normes détournent les ressources des départements de recherche et développement, ralentissant ainsi le progrès technologique dans le domaine des motos. Par conséquent, bien que les motos paraissent stagner technologiquement, leurs prix continuent d’augmenter, alimentant ainsi une impression d’inflation disproportionnée.
Les tactiques de vente
Pour « donner la chance au produit », de nombreux constructeurs adoptent la stratégie de lancer leurs nouveautés sur le marché à des tarifs très attractifs. Cependant, une fois la première ou la deuxième année écoulée et le modèle bien établi, ils augmentent progressivement le prix de la moto pour compenser cette approche tarifaire agressive. Yamaha excelle dans cette pratique, comme le démontre l’exemple de la MT-07, inspirée par la Fazer 600. Honda suit aussi cette tendance avec des tarifs de lancement très compétitifs pour des modèles récents tels que la CBR600 RR et la Hornet 750. Bien que l’on espère que ces prix restent stables, il est probable qu’ils augmentent d’ici un an ou deux.
Il est important de noter que la taille d’un constructeur influe sur sa marge de manœuvre pour fixer les prix de ses motos. Un groupe industriel gigantesque et diversifié comme Akashi, auquel appartient Kawasaki, est plus enclin à absorber un ajustement commercial et/ou une stratégie tarifaire agressive. En revanche, Yamaha, étant un pure-player sans autres activités suffisamment robustes pour équilibrer son exercice comptable, dispose de moins de flexibilité en matière de tarification.
Les matériaux de base
Comme toutes les industries, celle de la moto est soumise aux fluctuations imprévisibles des coûts des matières premières. Les constructeurs doivent faire preuve de beaucoup d’ingéniosité pour atténuer l’impact de ces hausses sur les consommateurs, qui sont souvent ignorants des complexités en coulisses. Un exemple récent est la hausse du prix du palladium, autrefois largement utilisé pour fabriquer des catalyseurs. Cependant, sa popularité croissante dans l’industrie de la bijouterie a complètement redéfini son marché. De même, l’aluminium traverse une période critique. En raison de l’élan écologique favorisant le recyclage, il a été découvert que l’aluminium est plus facile à recycler que de nombreux autres matériaux courants, y compris le plastique.
Les frais de transport
Comme pour les matières premières, le coût des transports peut être très fluctuant. En temps normal, un conteneur maritime capable de transporter entre 12 et 40 motos coûte entre 1 500$ et 3 000$, voire jusqu’à 6 000$ selon le transporteur. Cependant, durant la crise de la COVID, l’incident de l’Evergreen (le paquebot bloqué dans le canal de Suez), et la crise en Israël, les tarifs ont grimpé jusqu’à 13 000$ à 18 000$ pour une seule expédition. Cela démontre à quel point les variables externes sont nombreuses et souvent incontrôlables.
L’équivalence des monnaies
La fluctuation de la valeur des devises internationales peut également expliquer les variations des tarifs de nos motos en concession. Dans la plupart des industries, les matières premières sont achetées en dollars directement auprès des pays producteurs, dont le pouvoir d’achat varie en fonction de la valeur de leur devise. Cela est d’autant plus compliqué par le dollar lui-même, qui connaît de fortes fluctuations. En résumé, cette complexité industrielle fréquemment opaque peut expliquer les augmentations de 200€ chaque année pour un modèle pourtant stable depuis cinq ans.
En conclusion, il est important de rappeler que tous les secteurs d’activité – services, alimentation et énergie en tête – ont connu une forte inflation ces deux dernières années. L’univers de la moto ne pouvait donc pas échapper à cette tendance générale. Bien que l’inflation soit un mécanisme économique naturel, généralement expliqué par une variation entre l’offre et la demande, des facteurs aggravants comme la crise du Covid-19 et la guerre en Ukraine ont fait exploser les taux à un niveau inédit, atteignant un pic historique en 2022.